Lorsqu’on parle de cinéma, il y a certaines personnes qui insistent qu’il ne faille pas être politique malgré le fait que tout est inhérent à la politique. Prenons par exemple Freddie Mercury : si vous faites un film sur lui, normalement, vous êtes obligé de parler de la condition homosexuelle dans les années 70-90 et du traitement médiatique et politique de la crise du Sida. Car on le rappelle, le chanteur de Queen naviguait à la voile et à la vapeur, et est tragiquement mort du VIH. Ne jamais mentionner ces choses et finir le film arbitrairement sur un concert qui est, en soit, peu significatif dans la carrière du groupe serait profondément malhonnête. Mon point est que même en faisant un film sur un musicien, on est obligé de parler politique car toute personne et tout personnage appartient à un contexte historique, géographique et sociétal et comment il interagit avec ce contexte est forcément politique. Même essayer de taire ce contexte est en soit politique et c’est, par exemple, pour ça qu’énormément de films sur le racisme envoie le message que le racisme est une question d’individus avec des fautes de tous les côtés plutôt que quelque chose de systémique. Néanmoins, je me suis posé la question « à quoi ressemble l’œuvre la plus apolitique possible ? » et j’ai donc cherché dans ma culture (qui je vous l’assure est assez large pour rendre mes conclusions objectives) pour trouver l’œuvre qui fait le plus d’efforts pour ne rien dire. Et donc mesdames, messieurs et membres non-binaire de l’espèce humaine, je propose de parler de… Far Cry 5.

Je me rends compte que je suis sur un blog principalement littéraire et que certains d’entre vous n’ont peut-être jamais réellement joué aux jeux-vidéos ou ne jouent plus depuis un moment et pour ces personnes…Accrochez vous ! Ça va être une présentation divertissante. Vu que nous parlons du cinquième opus d’une saga, on va un peu présenter le jeu avant d’entrer dans le vif du sujet. Far Cry 1 était un nanard avec un héros sur une île paradisiaque où un savant fou a créé des méchants mutants et n’a rien à voir avec le reste de la saga ; Far Cry 2 est un jeu où on contrôle des mercenaires dans un pays fictif d’Afrique et présente une vision extrêmement nihiliste de la guerre et de la violence. Il n’a rien à voir avec le reste de la saga mais il est le premier qui essaie de dire quelque chose. Far Cry 3 se passe sur une île sous le contrôle d’un baron de la drogue et peut être lu comme une déconstruction du protagoniste standard de jeu-vidéo et commence à poser les bases thématiques des jeux qui vont suivre : un méchant charismatique et excentrique, un sens de la moral particulièrement gris et des scènes internes à la psyché du personnage. Far Cry 4 reprend ses thèmes là et se déroule dans une dictature fictive avec des réflexions sur la nature de la rébellion.

Donc en arrivant au cinquième jeu on se rend bien compte que les Far Cry avait régulièrement des choses à dire et donc on peut se demander ce que dit le 5. Pour replacer le contexte le jeu a été annoncé quelques mois après la victoire de Trump et se déroulait dans une région isolée et rurale du Montana avec un culte religieux obsédé par les armes à feu qui a pris le contrôle. Dit comme ça, on peut croire que le jeu critique une certaine branche de la société américaine. Néanmoins…

    I. Le culte n’est pas un secte chrétienne.

Malgré l’imagerie du méchant se tenant comme un messie à table devant une église, le culte n’est pas vraiment chrétien. Le jeu fait exprès d’être extrêmement flou avec leurs croyances : Jésus n’est jamais mentionné. Il utilise certes les sept péchés capitaux mais aussi les dieux grecs classiques, il jette des bibles et les interdit pour les remplacer par leur propre Saint-Texte. Ils sont donc faits pour évoquer ce que vous pensez ne va pas avec la société, quelle que soit votre opinion sur la question : si vous voulez les voir comme des extrémistes religieux vous pouvez les voir comme ça, si vous voulez les voir comme la culture « woke » (pas aidée par le fait que les membres du culte sont des hommes et des femmes de toutes les couleurs avec des coupes de hipster) qui vient oppresser nos traditions en s’attaquant à nos traditions judéo-chrétiennes vous pouvez définitivement les voir comme ça. De plus le jeu invente un opiacé magique pour expliquer pourquoi les gens suivent le culte plutôt que de discuter des circonstances qui poussent les gens à rejoindre ce genre de milieu.

    II. Amasser des armes ce n’est pas sain mais les armes c’est cool et utile.

Bon le jeu n’a rien à dire volontairement sur la religion mais quid du port d’arme ? Après tout, on montre bien que le culte amasse de manière malsaine des armes à feu…Certes, mais les héros aussi et le jeu est rempli de Gun porn pour montrer à quel point les armes sont cool. Et au final, ce point aurait été complètement contrecarré par le fait que le héros forme sa propre milice, qui a son propre révérend qui n’hésite pas à prendre un fusil à pompe pour faire ressentir la fureur de Dieu, pour lutter contre la milice du culte.

    III. La fin, ou comment envoyer le pire message.

Bon je vais pour soutenir ma conclusion discutée les différentes fins du jeu : vous pouvez soit arrêter le chef du culte, ce qui déclenche l’apocalypse ou le laisser en paix ce qui déclenche une bonne fin. Donc, au final, la politique de ne rien dire du jeu va encore plus loin car au-delà de ne vouloir faire aucun point politique, il encourage aussi de ne rien faire. Je rappelle que les antagonistes du jeu sont un culte qui oppresse une ville, après avoir pris le contrôle par la force, et le jeu encourage comme solution par sa fin de les laisser faire (je précise que le personnage principale est un policier). Vous avez bien entendu les enfants ? Si un culte exploite ses fidèles, les drogue pour garantir leurs fidélités et force les gens à se convertir par la force, vous devez absolument les laisser en paix au nom de la liberté de religion.

Pourquoi j’ai parlé de Far Cry 5 ? Et bien déjà car Far Cry 6 a été annoncé mais aussi car c’est de plus en plus en vogue d’annoncer qu’un jeu n’est pas politique. J’avais envie de montrer et partager à quoi cela ressemble quand on enlève volontairement tout commentaire politique dans un jeu et à quel point on peut arriver à des messages toxiques à cause de cela. Nous vivons dans des périodes difficiles et où rester silencieux n’est plus juste un confort mais une lâcheté donc s’il vous plaît, la prochaine fois que quelqu’un prétend qu’une œuvre, et cela quelque soit le média, est apolitique, giflez-le de ma part.

Sike est un jeune homme avec beaucoup d’opinions, de thés et d’alcools en lui. Il aime suranalyser la plupart des médias qu’il regarde, écrire ses propres biographies et avoir l’impression d’être la personne la plus intelligente de la pièce. Il est payé en vernis et thé pour ses articles et exige une augmentation. Zoubis.